Introduction
Comme nous l’avons mentionné dans les articles précédents de cette série, le paragraphe 46(1) de la Loi sur les Indiens prévoit les conditions dans lesquelles le ministre peut annuler un testament. Ceux-ci comprennent :
a) le testament a été signé sous la contrainte ou sous l’influence indue;
b) le testateur n’avait pas la capacité testamentaire au moment de la signature du testament;
c) les conditions du testament imposeraient des difficultés aux personnes pour lesquelles le testateur avait la responsabilité de subvenir;
d) le testament vise à aliéner des biens-fonds situés dans une réserve d’une manière contraire à l’intérêt de la bande ou à la présente loi;
e) les termes du testament sont si vagues, incertains ou capricieux qu’il serait difficile ou impossible d’assurer une administration adéquate et une répartition équitable de la succession du défunt conformément à la présente loi; ou
f) les conditions du testament sont contraires à l’intérêt public.
La partie I de cette série traite de l’alinéa e) et la partie III traite des alinéas d) et f). Les trois premiers paragraphes – l’influence indue, la capacité testamentaire et la contrainte excessive – sont des conditions typiques dans la plupart des provinces de common law où un tribunal peut refuser l’homologation. En vertu de la Loi sur les Indiens, le ministre et les cours de révision sont chargés de se tourner vers la jurisprudence provinciale pour orienter leurs analyses. L’article 88 de la Loi confirme la prédominance fédérale de la loi sur la législation provinciale et indique que toute loi provinciale qui n’entre pas en conflit avec la Loi s’applique aux Indiens inscrits.
Influence indue
En vertu de l’alinéa 46(1)a), le ministre peut déclarer nul un testament lorsque le testateur a fait l’objet d’une influence indue. Il y a influence indue lorsqu’une personne exerce des pressions sur le testateur pour qu’il inclue certaines dispositions dans son testament ou en exclue d’autres, d’une manière qui profite de sa vulnérabilité ou de sa faiblesse et l’amène à agir d’une manière qui n’est pas son propre choix. Il peut s’agir d’une forme d’exploitation financière ou psychologique, et elle peut être perpétrée par un conjoint, un membre de la famille, un aidant ou toute autre personne en position de confiance ou d’autorité. Dans l’affaire Sappier c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 178, Bernadette Sappier a signé un instrument testamentaire six jours avant son décès en présence de ses sœurs, de sa nièce et de son associé Walter Sappier. Sappier vivait dans une réserve de la Première Nation de Tobique. Le testament manuscrit exprimait l’intention de Sappier que Regis Waloven prenne le contrôle de ses biens.
Walter conteste le testament, affirmant qu’il est le mari de Bernadette depuis plus de cinquante ans. En réalité, Bernadette a épousé Walter et a divorcé par la suite, épousant plus tard Regis Waloven. Elle est ensuite retournée vivre avec Walter, et il n’était pas évident pour le tribunal si les deux se sont finalement remariés. Walter prétendit que Bernadette avait fait l’objet d’une influence indue dans l’exécution de son testament et qu’elle n’avait pas non plus la capacité testamentaire au moment de l’exécution.
En examinant la première question, la Cour fédérale s’est penchée sur la jurisprudence provinciale de common law pour clarifier le sens de l’influence indue, en affirmant que le fardeau de la preuve de l’influence indue incombait à l’appelant et que l’influence indue devait démontrer la coercition et non la simple persuasion. Enfin, la Cour a souligné que la preuve doit être directe et non circonstancielle. Examinant la présente affaire, la Cour a conclu que la preuve présentée par Walter, comme le fait que le testament était censé léguer des biens à l’un des témoins, était au mieux circonstancielle. La Cour a rejeté l’argument d’invalidité de l’appelant sur la base d’une influence indue.
Capacité testamentaire
Dans l’arrêt Sappier , la Cour a également examiné l’argument de l’appelant pour l’absence de capacité testamentaire. La Cour a cité le critère énoncé dans l’arrêt Re Schwartz, 1970 CanLII 32 (ON CA), [1970] 2 O.R. 61-84 (C.A. Ont.) confirmé (1971), 1971 CanLII 17 (CSC), 20 D.L.R. (3d) 313 (C.S.C.) :
Le testateur doit être suffisamment clair dans sa compréhension et sa mémoire pour le savoir, par lui-même et de manière générale
1° la nature et l’étendue de ses biens,
2° les personnes qui sont l’objet naturel de sa prime;
3° les dispositions testamentaires qu’il fait; et doit, de plus, être capable de :
4° apprécier ces facteurs les uns par rapport aux autres,
5° former un désir ordonné quant à la disposition de ses biens.
La Cour a ensuite précisé que, comme dans les tribunaux d’homologation de common law, il existe une présomption de capacité testamentaire. Walter a fourni plusieurs éléments de preuve à l’appui de son argument sur ce front, y compris une lettre du médecin de famille de Bernadette qui, selon Walter, démontrait une « incompétence mentale » au moment de l’exécution du testament. La Cour n’a pas accepté l’argument de Walter, décidant plutôt que la lettre ne fournissait pas suffisamment de renseignements sur la dernière fois que le médecin de Bernadette l’a vue afin d’éclairer ses capacités mentales au moment de l’exécution de son testament. La Cour a également cité des éléments de preuve contradictoires fournis par l’intimé concernant l’état mental de Bernadette.
Dans l’affaire Louie c. Canada (Services aux Autochtones), 2021 CF 650, une affaire dont il est question dans la partie III de cette série d’articles, la Cour a examiné l’argument de l’appelant selon lequel Jimmie Louis n’avait pas la capacité testamentaire au moment de l’exécution de son testament. En vertu du cadre de contrôle de l’arrêt Vavilov , la Cour a examiné la décision du ministre selon laquelle Jimmie n’avait pas manqué de capacité testamentaire selon une norme d’erreur manifeste et dominante. Le frère de Jimmie, John, a fait valoir que Jimmie n’avait pas la capacité testamentaire en raison de son alcoolisme. La décision du ministre indiquait que Jean n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour étayer cette affirmation. Jimmie a répondu que la décision du ministre ne fournissait pas de motifs suffisants, car elle n’avait pas analysé sa preuve en détail ni expliqué sa décision. Sur ce point, la Cour a confirmé l’analyse approfondie de la Cour suprême dans l’affaire Vavilov en soulignant que l’insuffisance des motifs n’est pas un moyen d’appel indépendant des décisions administratives.
Dans l’arrêt Louie , la Cour a ensuite cité les articles 8.1 et 8.2 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c I-21, pour définir la notion de capacité testamentaire en fonction de la loi de la province pertinente, en l’occurrence la Colombie-Britannique (confirmée dans Albas c Gabriel, 2009 BCSC 198). Comme dans l’affaire Sappier, la Cour a cité le critère de la capacité testamentaire de l’arrêt Re Schwartz , ainsi que la décision Wilton v. Koestlmaier, 2019 BCCA 262 établissant la présomption de capacité testamentaire. La Cour a noté qu’il n’était pas contesté que Jimmie souffrait d’alcoolisme et qu’il était décédé d’une cirrhose du foie. Cependant, la preuve qu’il a continuellement exprimé son intention de ne pas léguer ses biens à John ou à un membre de sa famille a démontré à la Cour qu’il avait la capacité testamentaire lorsqu’il a fait un testament.
Contrainte excessive
La récente décision Brooks c. Canada (Services aux Autochtones), 2022 CF 1064 est abordée dans la partie II de cette série. Dans l’affaire Brooks, le testateur, Samuel Joseph Paul, a inclus dans son testament une clause déshéritant explicitement deux de ses filles séparées, Debra et Brenda. Le gouvernement avait retiré Debra et Brenda de la garde de Paul lorsqu’elles étaient bébés et les avait placées en famille d’accueil. Ils demeurent pupilles de la Couronne jusqu’à l’âge adulte. Dans sa clause de déshéritage, Paul a affirmé que Brenda ne dépendait pas de lui et qu’elle était financièrement autonome. Dans son appel, Brenda a affirmé que, comme elle est invalide de façon permanente et dépend de l’aide gouvernementale, la déclaration de Paul est inexacte. Brenda a fait valoir que les termes du testament de Paul lui causeraient un préjudice injustifié. La Cour fédérale a renvoyé cette décision au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision et, en décembre 2022, l’affaire n’avait pas été tranchée.
L’affaire Poitras v Khan, 2016 SKQB 346 est abordée dans la partie III de cette série en ce qui concerne le conflit entre les lois fédérales et provinciales sur les testaments et les successions. Dans cet appel, Khan a également fait valoir que le testament de sa femme, qu’elle a signé avant leur mariage et qui ne lui a donc pas subvenu, lui causerait également un préjudice injustifié. Khan a fait valoir qu’il était à la charge de sa femme, Sharon Poitras. La Cour a noté que les biens personnels de Khan valaient plusieurs centaines de milliers de dollars et qu’il ne courait donc pas de risque réel de préjudice injustifié. De plus, la Cour a souligné que, puisque les droits de propriété de Khan étaient protégés par deux lois provinciales, la Loi sur les biens familiaux et la Loi sur l’allègement des personnes à charge, ses intérêts demeuraient protégés. L’arrêt Poitras démontre qu’en vertu de l’alinéa 46(1)c), les appelants doivent être en mesure de démontrer que l’absence de disposition d’un testateur à leur égard leur causerait en fait un préjudice injustifié et qu’ils n’ont pas d’autre recours.
En conclusion
Cette série d’articles traite de l’exécution et de l’invalidation des successions en vertu de la Loi sur les Indiens . La Loi sur les Indiens est une loi fédérale qui s’applique aux Indiens inscrits au Canada et qui énonce certains droits et responsabilités en ce qui concerne leur statut d’Indiens. Si un testament est signé dans le cadre de l’administration d’une succession en vertu de la Loi sur les Indiens , les règles générales d’exécution de testament énoncées dans les lois provinciales ou territoriales applicables s’appliquent, sous réserve de toute disposition particulière de la Loi sur les Indiens, y compris les conditions d’exécution et d’invalidité variables.
Bien que les exigences d’exécution des testaments en vertu de la Loi sur les Indiens soient beaucoup plus souples que les lois provinciales sur les successions, certaines conditions permettant à un ministre d’annuler un testament, comme l’aliénation arbitraire de ses biens par un testateur, sont propres aux lois régissant les Indiens inscrits. Les avocats successoraux, les planificateurs, les représentants personnels et les testateurs autochtones doivent être conscients des critères précis d’annulation d’un testament en vertu de la Loi sur les Indiens afin de protéger et d’aliéner au mieux les biens du défunt selon leurs volontés testamentaires.