La Loi sur les Indiens et les successions autochtones
Les expériences vécues par les peuples autochtones en matière de droit des successions et d’administration des successions au Canada trouvent leurs racines dans la Loi constitutionnelle de 1867, promulguée à l’origine sous le nom d’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 (Acte de l’Amérique du Nord britannique ). Depuis la création d’un dominion fédéral colonial sur l’île de la Tortue, le nom utilisé par de nombreux groupes autochtones pour désigner l’Amérique du Nord, le Canada réglemente les droits de propriété des « Indiens », le terme historique désignant les peuples des Premières Nations. Le paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique confère au gouvernement fédéral une compétence législative sur « les Indiens et les terres réservées aux Indiens ». Cette disposition comprend donc la compétence sur l’administration des successions et des testaments autochtones.
La Loi sur les Indiens, une loi fédérale adoptée pour la première fois en 1876, est le principal pouvoir législatif concernant les Indiens inscrits, les membres des Premières Nations inscrits auprès du gouvernement et qui ont droit à certains droits, avantages et contrôle gouvernemental qui ne sont pas accordés aux Indiens non inscrits, aux Inuits et aux Métis. La décision de la Cour fédérale de 2013 Daniels c. Canada, 2016 CSC 12 a statué que l’application de la Loi de l’Amérique du Nord britannique aux « Indiens » étend une compétence fédérale et une obligation fiduciaire à tous les Indiens inscrits, aux Indiens non inscrits et aux Métis. Ce précédent englobe les paramètres juridiques du droit de l’succession ab intestat et de l’homologation pour les peuples autochtones (à l’exclusion des Inuits) en vertu du paragraphe 91(24).
Le ministère fédéral du gouvernement du Canada, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC), est le principal organisme fédéral qui exerce son autorité sur la compétence définie au paragraphe 91(2) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Le Ministère est supervisé par le ministre des Services aux Autochtones. La Loi sur les Indiens légifère sur la « descendance des biens », y compris l’exécution des testaments, la compétence sur les appels des décisions d’homologation et les lois sur la succession ab intestat. L’article 45 précise qui peut faire des testaments en vertu de la Loi, la forme des testaments et le processus d’homologation. L’article 46 précise les conditions auxquelles le ministre peut déclarer un testament nul. L’article 46 met en évidence une différence importante entre l’administration des successions en vertu de la Loi sur les Indiens et celle des lois provinciales sur les successions : la première est exercée en vertu d’une mesure administrative de l’exécutif, tandis que la seconde est exercée par les tribunaux judiciaires. Enfin, le paragraphe 46(2) stipule que lorsqu’un testament en vertu de la Loi est déclaré nul, la personne qui l’exécute sera réputée être décédée ab intestat et que les lois sur l’ab intestat de la Loi sur les Indiens s’appliqueront.
Article 46 et dispositions analogues
Le paragraphe 46(1) prévoit les six conditions suivantes dans lesquelles le ministre peut déclarer nul un testament fait en vertu de la Loi sur les Indiens :
a) le testament a été signé sous la contrainte ou sous l’influence indue;
b) le testateur n’avait pas la capacité testamentaire au moment de la signature du testament;
c) les conditions du testament imposeraient des difficultés aux personnes pour lesquelles le testateur avait la responsabilité de subvenir;
d) le testament vise à aliéner des biens-fonds situés dans une réserve d’une manière contraire à l’intérêt de la bande ou à la présente loi;
e) les termes du testament sont si vagues, incertains ou capricieux qu’il serait difficile ou impossible d’assurer une administration adéquate et une répartition équitable de la succession du défunt conformément à la présente loi; ou
f) les conditions du testament sont contraires à l’intérêt public.
La plupart de ces conditions sont analogues à celles que l’on trouve dans les lois provinciales sur les testaments et les successions concernant l’exécution appropriée des testaments. Par exemple, l’article 52 de la Wills, Estates and Succession Act (WESA) de la Colombie-Britannique et le paragraphe 12(3) de la Loi portant réforme du droit des successions de l’Ontario (LRDL) confèrent explicitement aux tribunaux des successions le pouvoir de déclarer un testament invalide en raison de l’influence indue d’une personne sur le testateur.
Au Québec, le Code civil du Québec (CCQ) énonce les lois régissant les testaments et les successions. Les articles 703, 707, 708, 709, 710 et 711 C.c.Q. énoncent les exigences relatives à la capacité testamentaire pour la dévolution des biens d’un défunt. Les articles 713 et 714 invoquent sans doute un libellé similaire à celui de l’alinéa 46(1)e) de la Loi sur les Indiens, et l’article 715 C.c.Q. invoque le principe des testaments faits dans l’intérêt public. L’article 715 stipule que « nul ne peut soumettre la validité de son testament à une formalité non requise par la loi. » Les imputations de la jurisprudence de common law dans toutes les provinces de common law ont cimenté toutes les conditions du paragraphe 46(1) qui ne se rapportent pas à l’administration en vertu de la Loi dans le droit provincial des successions.
Les alinéas d) et e) sont propres aux lois régissant les « Indiens » au sens du paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Bien que les tribunaux provinciaux des successions rejettent généralement un testament d’homologation dont les conditions sont vagues ou incertaines (ou déclarent nulles certaines dispositions d’un testament), cet engagement n’est pas pris dans le but de rendre « difficile ou impossible d’administrer adéquatement la succession de la personne décédée et de répartir équitablement la succession de la personne décédée conformément à la Loi sur les Indiens ». Cette exigence est unique à la relation entre la Couronne et les peuples autochtones.
De plus, un principe central des droits de propriété privée en common law est la capacité des testateurs de disposer de leurs biens de manière « arbitraire » (par opposition à l’alinéa 46(1)e) de la Loi sur les Indiens) lorsque cela est conforme à l’intérêt public et qu’il n’est pas contraire au droit criminel. C’est le principe fondamental de la liberté testamentaire, un droit farouchement protégé par le droit des successions non indiens. En 2016, la Cour d’appel de l’Ontario a statué dans Spence c. BMO Trust Co., 2016 ONCA 196 que « la liberté d’une testatrice de distribuer ses biens comme elle l’entend est un principe de common law profondément enraciné [...] personne, y compris le conjoint ou les enfants d’un testateur, n’a le droit de recevoir quoi que ce soit en vertu d’un testament d’un testateur, sous réserve d’une loi qui impose des obligations au testateur.
L’incapacité de prendre des décisions arbitraires en vertu de la Loi constitue l’une des nombreuses incursions fédérales dans les libertés des peuples autochtones au Canada et le renforcement par le gouvernement de la relation paternaliste entre les deux.
Au cours des dernières années, les législatures provinciales ont introduit des dispositions limitant la liberté, comme l’article 60 de la WESA de la Colombie-Britannique invalidant un testament qui ne prévoit pas de dispositions adéquates pour les personnes à charge d’un testateur. Cependant, ce type de dispositions s’est avéré controversé dans les provinces. En 2019, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a invalidé une disposition similaire de la Testators' Family Maintenance Act au motif qu’elle violait les droits des testateurs à la liberté garantis par l’article 7 de la Charte conformément aux principes de justice fondamentale. Dans cette décision, la Cour a statué que l’autonomie testamentaire « peut s’élever au niveau de choix personnel fondamental du type envisagé dans la jurisprudence en vertu de l’article 7 ». Malgré cette décision, les tribunaux n’ont pas jugé inconstitutionnelle le droit fédéral analogue de la Loi sur les Indiens en raison de l’autonomie testamentaire.
La deuxième moitié de l’alinéa e) (« la répartition de la succession du défunt serait difficile ou impossible à effectuer conformément à la présente loi ») et le paragraphe précédent, qui prévoit que le ministre peut déclarer nul un testament s’il « vise à aliéner des terres dans une réserve d’une manière contraire à l’intérêt de la bande ou à la présente loi », renforcent tous deux une relation imposée entre les Indiens inscrits et les Indiens inscrits et les Indiens inscrits la Couronne en vertu de la loi fédérale. Essentiellement, ces conditions perpétuent l’opinion juridique selon laquelle les Premières Nations vivant dans les réserves sont des objets de l’administration fédérale plutôt que des testateurs ayant des droits de propriété individuels égaux à ceux des citoyens non autochtones. Cette tension persistante a fait son apparition dans plusieurs différends successoraux en vertu de la Loi sur les Indiens, où les questions de compétence entre les tribunaux provinciaux en vertu de l’article 96 et la compétence ministérielle fédérale en vertu de RCAANC soulèvent des questions sur les lois qui s’appliquent au testament d’un testateur.
Les questions de compétence, le pouvoir discrétionnaire des juges à l’égard des décisions administratives, la norme de contrôle des décisions administratives et l’interprétation des conditions prévues au paragraphe 46(1) de la Loi sur les Indiens par les décideurs ont toutes joué un rôle dans la jurisprudence. Ces décisions fournissent plus d’orientation et, dans certains cas, soulèvent plus de questions sur les lois sur la propriété et les successions pour les peuples autochtones du Canada. La partie II de cette série examine les décisions judiciaires pertinentes relatives à la validité des testaments rendus en vertu de la Loi, y compris les requêtes des demandeurs en vue d’obtenir l’annulation des testaments en vertu du paragraphe 46(1).