Enrichissement sans cause dans l’administration de la succession
L’enrichissement sans cause est une forme de réparation qui permet de recouvrer de l’argent ou d’autres biens qui ont été obtenus ou conservés illicitement par une autre partie. Dans l’arrêt Lauréat Giguère Inc. c. Cie Immobilière Viger Ltée., [1977] 2 R.C.S. 67, la Cour suprême a établi six exigences pour la présence d’un enrichissement sans cause : il doit y avoir un enrichissement; un appauvrissement; une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement; l’absence de justification de l’enrichissement; l’absence d’évasion de la loi; et aucun autre recours disponible. L’enrichissement sans cause occupe une troisième catégorie résiduelle d’obligations civiles après le contrat et le délit. En tant que tel, c’est généralement le plus complexe à gérer pour les tribunaux.
Dans le droit canadien des testaments et des successions, l’enrichissement sans cause peut survenir dans un certain nombre de situations différentes. Par exemple, si un exécuteur testamentaire a mal géré ou détourné des fonds de la succession, les bénéficiaires du testament peuvent être en mesure de récupérer de l’argent ou des biens injustement obtenus. De même, si un bénéficiaire a reçu un avantage indu de la succession, comme un prêt ou un don, l’exécuteur testamentaire peut être en mesure de récupérer les fonds ou les biens. De plus, si un bénéficiaire a indûment pris ou conservé des fonds ou des biens de la succession, l’exécuteur testamentaire ou l’administrateur de la succession peut être en mesure de récupérer les fonds ou les biens. L’enrichissement sans cause survient souvent dans le contexte successoral des relations entre conjoints et parents-enfants, car ce sont les relations les plus courantes pour l’héritage. Dans ces cas, les tribunaux peuvent imposer des fiducies par interprétation aux parties pour remédier à des résultats injustes.
Imposer des fiducies par interprétation
Dans la décision de 2018 de la Cour suprême Moore c. Sweet, 2018 CSC 52 (CanLII), [2018] 3 RCS 303, la Cour a appliqué un cadre tripartite simplifié sur l’enrichissement sans cause, comportant trois éléments au principe : un enrichissement; un appauvrissement correspondant; et aucune raison juridique de l’enrichissement ou de la privation correspondante. Lawrence Moore et Michelle Michelle Constance Moore étaient d’anciens conjoints. Pendant leur mariage, ils ont conclu une entente contractuelle en vertu de laquelle Michelle paierait les primes de la police d’assurance-vie de Lawrence de son vivant et, en échange, il la maintiendrait comme seule bénéficiaire de la police à son décès. Bien que Michelle ait retardé sa part de l’entente pendant 13 ans après leur divorce, Lawrence a désigné Risa Sweet, sa conjointe de fait subséquente, comme bénéficiaire irrévocable de la police, à l’insu de Michelle. La Loi sur les assurances, LRO 1990, permet aux propriétaires de polices de créer des bénéficiaires irrévocables.
Michelle et Risa ont toutes deux réclamé le produit de la police d’assurance. Le tribunal de première instance a accordé à Michelle le produit de la police d’assurance-vie. La cour a fait valoir qu’il y avait une fiducie par interprétation entre Michelle et Lawrence, et qu’elle serait injustifiablement privée des biens qui lui étaient dus si le produit de la police d’assurance-vie allait à Risa. La Cour d’appel a infirmé la décision du tribunal de première instance, accordant le produit à Risa, tout en remboursant à Michelle le montant qu’elle avait payé après son divorce à Lawrence jusqu’à son décès. La majorité a soutenu que Risa, qui était invalide et financièrement impécunieuse, était une bénéficiaire appropriée de la police. Comme elle avait soigné Lawrence malgré sa mauvaise santé et son alcoolisme, la Cour a conclu que le produit de la police était une compensation appropriée pour son soutien à son partenaire pendant plus d’une décennie. Les juges majoritaires ont conclu que ce résultat était contraire à l’esprit de l’enrichissement sans cause. En ce sens, la Cour a jugé que l’enrichissement de Risa ne correspondait pas à l’appauvrissement de Michelle.
La Cour suprême a infirmé la décision de la Cour d’appel, concluant que Michelle avait droit à des intérêts d’attente par le biais de sa relation contractuelle avec Lawrence. Le juge Côté, s’exprimant au nom de la majorité, a souligné la différence de résultat entre Moore c. Sweet et d’autres cas potentiels comportant des faits similaires. Dans Moore, Michelle et Lawrence avaient conclu une entente verbale explicite selon laquelle Michelle recevrait le montant total du produit de la police d’assurance-vie. Le juge Côté a soutenu que dans les cas où un ex-conjoint soutient qu’il a une obligation morale, la Cour ne serait pas en mesure d’offrir une réparation équitable lorsque le demandeur n’a aucun droit légal à la police d’assurance.
Équité : équité et contrat
La décision de la Cour suprême se juxtapose fortement à l’interprétation de l’équité de la Cour d’appel. La Cour d’appel s’est davantage penchée sur le principe général de l’équité pour assurer la protection des parties vulnérables, tandis que la Cour suprême a examiné l’équité dans le cadre du droit des obligations contractuelles. Selon cette dernière interprétation, la Cour a examiné l’élément de l’enrichissement sans cause, démontrant l’absence de raison juridique de l’enrichissement. C’est-à-dire que la Cour n’a pas conclu qu’il y avait un fondement juridique valide pour que Risa supplante Michelle en tant que bénéficiaire.
Les juges majoritaires ont conclu que Lawrence, en tant que propriétaire de la police d’assurance, avait le droit de désigner Risa comme bénéficiaire irrévocable en vertu de la Loi sur les assurances. Cependant, Lawrence a renoncé à ce droit en créant une relation contractuelle entre lui et Michelle. Étant donné qu’aucune partie de la Loi n’écarte les recours en equity ordonnés par les tribunaux et en common law, la Cour a conclu qu’il était de sa compétence d’imposer une fiducie par interprétation.
La décision de la Cour dans l’affaire Moore remet en question la véritable « irrévocabilité » d’un bénéficiaire irrévocable prévue par la législature. L’opinion dissidente, rendue par les juges Gascon et Rowe, affirmait que les juges majoritaires contournaient l’intention du législateur en imposant une fiducie par interprétation, minant ainsi la signification d’un bénéficiaire irrévocable. Moore souligne également le baromètre de la Cour pour l’enrichissement sans cause dans le contexte des successions, où l’accent n’est pas mis sur le comportement du tiers qui entraîne son propre enrichissement. La Cour se tourne plutôt vers la partie initiale qui a injustement appauvri une autre partie par ses actions, ce qui a entraîné l’enrichissement d’une tierce partie.
À retenir
Au Canada, les fiducies par interprétation sont l’une des nombreuses réparations en equity qui peuvent être offertes en droit successoral lorsque les tribunaux estiment qu’il n’est pas approprié ou juste d’accorder une réparation légale traditionnelle, comme des dommages-intérêts ou une exécution spécifique. Les réparations en equity visent à assurer un règlement juste et équitable des différends et sont généralement utilisées lorsque les parties concernées ont une relation spéciale, comme une relation fiduciaire, conjugale ou familiale. Les fiducies par interprétation sont souvent utilisées en droit successoral comme réparation équitable pour remédier à des situations où une partie a indûment pris le contrôle d’un bien promis à quelqu’un d’autre.
Moore c. Sweet montre que la Cour tiendra compte de la présence d’ententes contractuelles lorsqu’elle interprétera l’applicabilité des lois relatives à la succession, comme celles qui régissent les polices d’assurance-vie. Moore souligne l’ouverture actuelle de la Cour à accorder des réparations équitables, ce qui remet en question le rôle de la souveraineté parlementaire. À l’avenir, nous pourrions voir des lois plus explicites du Parlement touchant les droits des testateurs et des bénéficiaires. L’une de ces évolutions pourrait être la possibilité d’une « clarté irrésistible » pour empêcher l’existence de droits contractuels ou en equity sur ce produit d’assurance une fois qu’il a été payé au bénéficiaire désigné. Les testateurs et les bénéficiaires doivent continuer à naviguer dans les règles législatives d’administration des successions et les rôles des tribunaux pour assurer des résultats justes dans le droit des successions.