Testaments mutuels et testaments réciproques au Canada

Qu’est-ce qui sépare un testament mutuel d’un testament réciproque? Cette question cruciale a été débattue à maintes reprises partout au Canada.

Testaments mutuels et testaments réciproques

Les testaments mutuels et réciproques sont d’importants outils de planification successorale à la disposition des couples. Ces testaments sont exécutés simultanément par un couple et comprennent des termes parallèles l’un à l’autre. Habituellement, les dispositions de ces testaments stipulent qu’au décès d’un partenaire, la succession ira à l’associé survivant et, au décès subséquent de cet associé, les actifs iront aux bénéficiaires désignés dans les testaments mutuels. Ces testaments sont particulièrement utiles dans les familles recomposées ou compliquées, où l’existence d’enfants de l’extérieur de la relation existante peut compromettre le plan successoral du couple. Ces testaments garantissent que tous les membres de la famille seront pourvus, quel que soit le conjoint qui décède en premier.

Les testaments réciproques ou miroirs ne lient pas légalement le conjoint survivant. Bien que les testaments soient les mêmes entre les époux, ils peuvent être révoqués en tout temps par l’une ou l’autre des parties sans préavis. Il n’y a pas d’entente contraignante selon laquelle les testaments doivent survivre après le décès de l’un des partenaires.  

D’autre part, les testaments mutuels imposent au conjoint survivant l’obligation juridiquement contraignante d’honorer les conditions du testament. Au décès de l’un des partenaires, le testament est irrévocable et doit être respecté. Sinon, les bénéficiaires de testaments mutuels peuvent présenter une demande pour faire exécuter l’entente. Si un juge tranche en faveur des requérants, il imposera une fiducie par interprétation au nom de tous les bénéficiaires du testament mutuel. Les testateurs liés par un testament mutuel ne peuvent le révoquer qu’avec un préavis approprié à l’autre partie de leur vivant. Une révocation secrète de son vivant est nulle. 

La question de savoir ce qui sépare une volonté réciproque d’une volonté réciproque sera explorée en trois questions. Premièrement, la question de savoir si un testament mutuel non avantageux peut être considéré comme un testament réciproque. Deuxièmement, comment prouver l’existence d’un accord de volonté mutuelle. Enfin, compte tenu de la jurisprudence récente interprétant cette règle, quels facteurs extrinsèques ont été la meilleure preuve de l’existence d’une volonté mutuelle? 

Les testaments mutuels non bénéfiques peuvent-ils être ignorés?

La première question était en litige dans l’affaire University of Manitoba v. Sanderson Estate, 1998 CanLII 4328 (BC CA). Contrairement à la plupart des testaments mutuels, la succession Sanderson impliquait qu’un couple créait un testament mutuel au profit de l’autre, le reste allant à l’Université du Manitoba en fiducie pour établir un fonds de bourses perpétuel pour les étudiants talentueux. Dans leur testament mutuel, les paragraphes 3 et 4 indiquaient explicitement que : 

« 3 Qu’au cours de la vie commune des parties aux présentes, aucun desdits testaments ne sera révoqué ou modifié sans le consentement écrit des deux parties aux présentes.

4. Qu’après le décès de l’une des parties aux présentes, ledit testament du survivant ne sera ni modifié ni révoqué.

Mme Sanderson est finalement décédée et, peu de temps après, M. Sanderson a rédigé un nouveau testament. Comme presque tous les biens de Mme Sanderson étaient détenus conjointement avec M. Sanderson, son testament n’a jamais été officiellement homologué et son mari a reçu tous ses biens par droit de survie. Son nouveau testament contredisait le testament mutuel précédent en désignant de nouveaux bénéficiaires avant de placer le reliquat dans une fiducie pour l’Université. À la mort de M. Sanderson, l’université a intenté une poursuite pour faire respecter le testament mutuel initial. 

Les bénéficiaires de M. Sanderson ont tenté de faire valoir que le testament mutuel était en fait un testament réciproque. Étant donné que les actifs de Mme Sanderson passaient par le droit de survie, M. Sanderson n’a reçu aucun avantage de la succession de son épouse et n’était pas lié par les conditions du testament mutuel. 

Le juge du procès a accepté. À son avis, la création d’une fiducie par interprétation exigeait l’existence d’un enrichissement sans cause. Puisque M. Sanderson n’a pas bénéficié du testament de Mme Sanderson, il n’y a pas eu d’enrichissement sans cause et il n’est pas nécessaire d’exécuter l’accord de volonté mutuelle. Enfin, il croyait que l’acquisition de biens en copropriété rompait les testaments mutuels. Comme les Sanderson l’avaient fait, cette conduite a mis fin à leur entente de volonté mutuelle. 

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a infirmé le jugement inférieur. Premièrement, ils n’ont trouvé aucune preuve que le couple avait rompu leur accord de volonté mutuelle. La révocation d’un testament mutuel doit être appuyée par un fondement solide et des preuves claires pour inférer une séparation. Aucune preuve de ce genre n’existait. De plus, la clause explicite selon laquelle aucun des époux ne pouvait révoquer le testament sans consentement écrit prévoyait un mécanisme de révocation qui devait être suivi. Lorsqu’un testament mutuel doit être révoqué par écrit, les parties ne peuvent pas le révoquer simplement par leur conduite ou leur implication. 

Deuxièmement, la Cour d’appel a rejeté la théorie de l’enrichissement sans cause du juge de première instance en ce qui concerne les testaments mutuels. La Cour a réitéré que les deux conditions pour l’imposition d’une fiducie par interprétation pour un testament mutuel sont (1) un accord mutuel de ne pas révoquer et (2) le premier défunt est décédé sans révoquer ou modifier son testament. Le juge de première instance a tenté d’imposer une troisième condition, selon laquelle une prestation doit avoir été versée du prédéfunt au survivant pour que l’équité le lie à l’entente. 

La Cour d’appel a rejeté cette théorie. La création d’une fiducie par interprétation en raison d’une volonté mutuelle provenait d’une fraude et non d’un enrichissement sans cause. Equity considérait que la rupture de l’entente de non-révocation était une « fraude à l’égard du défunt », qui avait agi et s’était appuyé sur l’entente mutuellement contraignante. Puisque le défunt ne pouvait pas exécuter l’obligation à son décès, l’équité le ferait pour lui. Les volontés mutuelles s’apparentaient davantage à un contrat; L’entente créait une obligation de ne pas révoquer. Il n’était pas nécessaire de démontrer l’enrichissement sans cause. Par conséquent, le jugement de première instance a été annulé, M. Sanderson a rompu l’entente de volonté mutuelle et une fiducie par interprétation a été créée au profit de l’Université du Manitoba, sous réserve des conditions de la volonté mutuelle. 

Prouver l’existence d’un testament mutuel

Une entente de volonté mutuelle pourrait-elle être appliquée sans entente explicite? Quelle est la frontière entre les volontés réciproques ou miroirs et les volontés mutuelles? Edell c. Sitzer, 2001 27989 (ON SC) a aidé à répondre à ces questions.

Les faits de l’affaire étaient en grande partie similaires à ceux d’autres affaires de volonté mutuelle. Paul et sa femme Géraldine ont signé des testaments réciproques. Au décès de Geraldine, Paul a prévu de modifier le plan successoral d’une manière qui désavantagerait leur fille Jodi. Ce changement a tendu leur relation et a finalement conduit Paul à déshériter complètement Jodi. Jodi a intenté une poursuite pour l’exécution du testament initial, affirmant qu’il s’agissait d’un testament mutuel. Pourtant, les volontés réciproques ne comportaient aucun signe de volonté mutuelle. L’accord de ne pas révoquer n’a pas été consigné dans les documents testamentaires ni écrit ailleurs. Les testaments semblaient simplement réciproques et non contraignants. 

En analysant les conditions préalables à un testament mutuel, la Cour a établi les critères suivants pour qu’un accord de non-révocation soit exécutoire :

  1. Il doit satisfaire aux exigences d’un contrat contraignant et ne doit pas se limiter à une compréhension lâche ou à un sens de l’obligation morale
  2. Elle doit être prouvée par des preuves claires et satisfaisantes
  3. Il doit inclure une entente de ne pas révoquer les testaments.

En fin de compte, il n’y avait aucune preuve claire d’une entente exécutoire pour considérer les volontés réciproques comme réciproques et irrévocables. Les déclarations alléguées de Geraldine selon lesquelles Jodi et son frère hériteraient à parts égales n’étaient pas la preuve d’un instrument irrévocable. Les testaments correspondants n’étaient pas non plus une preuve suffisante d’une entente exécutoire. La capacité d’un testateur à modifier ses intentions futures était primordiale. Les testaments réciproques nécessitaient donc une preuve claire de l’intention de ne pas révoquer à l’avenir pour être considérés comme mutuels. Dans ces circonstances, il n’y avait pas d’entente contraignante ni de volonté mutuelle. Paul avait le droit de modifier son testament après la mort de Géraldine.

Preuve extrinsèque d’un testament mutuel

De nombreux arrêts ont utilisé le cadre et la philosophie juridique de l’arrêt Edell pour conclure qu’il n’existait pas de testament mutuel (voir Cassin c. Cassin, 2007 4863 ONSC, Burnell c. Rolph Estate, 2002 BCSC 323, Gefen Estate c. Gefen, 2022 ONCA 174). Cependant, d’autres demandeurs ont plaidé avec succès en faveur de la reconnaissance d’un testament mutuel fondé sur une preuve extrinsèque. 

Dans Hall c. Succession McLaughlin, 2006 CanLII 23932 (ON SC), un mari a modifié son testament avant le décès de sa femme, mais après que celle-ci ait perdu sa capacité testamentaire en raison de la démence. La perte de la capacité testamentaire a été qualifiée de décès pour un accord de volonté mutuelle. Cependant, sans accord écrit de non-révocation, le juge a été chargé de déterminer si leurs testaments étaient réciproques. Dans son jugement, elle a souligné la preuve que (1) les époux ont dit à leurs enfants qu’ils laisseraient leurs propres biens à leurs enfants respectifs, (2) l’exécution de leur testament à proximité temporelle et (3) les assurances répétées aux membres de la famille prédécédée qu’ils partageraient la succession ultime. Tous ces facteurs démontrent l’existence d’une volonté mutuelle. Le plaidoyer des demandeurs a été accueilli et une fiducie par interprétation a été créée au profit de tous les enfants. 

Le récent arrêt Rammage c. Succession de Roussel, 2016 ONSC 1857 a également reconnu l’existence d’un testament mutuel au moyen d’une preuve extrinsèque. Une fois son mari décédé avant elle, une veuve survivante a réécrit son testament et déshérité ses beaux-enfants. Au décès de la veuve et en apprenant leur déshérence, les enfants du mari (les beaux-enfants de la veuve) ont demandé une reconnaissance de la validité continue du testament mutuel. Le juge a approuvé leur demande. La preuve d’un testament mutuel comprenait (1) la relation étroite du couple décédé avec tous leurs enfants, (2) la description répétée de tous les beaux-enfants comme une seule unité familiale, (3) les déclarations du mari selon lesquelles il ne pouvait pas modifier son testament de sa vie, et (4) et les assurances du couple que leurs biens seraient partagés également entre tous leurs enfants à leur décès. Le juge a imposé une fiducie par interprétation au profit de tous les enfants. 

Ces affaires montrent que l’équité appliquera des testaments apparemment réciproques en tant que testaments mutuels lorsque des déclarations et des actions ouvertes envers les bénéficiaires démontrent un plan successoral cohérent. Dans les deux cas, les déclarations répétées aux enfants promettant leur héritage et l’irrévocabilité du plan successoral sont des facteurs décisifs pour conclure à l’existence d’une entente contraignante et d’une obligation équitable correspondante de ne pas révoquer. Un juge imposera probablement une fiducie par interprétation lorsque les actions des testateurs font croire aux bénéficiaires qu’il existe un testament mutuel. 

En conclusion

En fin de compte, les conjoints en planification successorale devraient inclure des clauses de non-révocation dans leur testament réciproque afin d’assurer leur obligation juridique. Même les conjoints qui n’ont pas d’actifs probables importants peuvent bénéficier d’un testament mutuel, car l’acquisition de biens par le conjoint survivant par le droit de survie n’annule pas l’obligation de testament mutuel. Enfin, les plaideurs devraient porter une attention particulière à la dynamique familiale et aux déclarations aux bénéficiaires lorsqu’ils plaident en faveur de l’existence d’un testament mutuel au moyen d’une preuve extrinsèque. Bien que les décisions des juges sur la question aient été très discrétionnaires, les déclarations explicites et répétées des testateurs sur le droit à l’héritage de chaque enfant ont généralement incité les tribunaux canadiens à reconnaître une entente de non-révocation contraignante. 

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